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Morts au Mali
28 avril 2013

Morts au Mali

 

 La guerre du Mali touche à sa fin, la France compte ses morts...

 

Capture d’écran 2013-04-28 à 15

 

A deux jours de Camerone, je pense à Marco et Victor.


Ces deux hommes ne sont plus. Ils n’ont jamais été comptabilisés parmi les cinq morts pour la France que compte l’opération SERVAL au Mali. Marco et Victor n’ont pas existé malgré qu’il possédaient, en toute légalité, des passeports français. Pour la France, ils ne sont donc plus personne. Pour ceux qui les ont bien connus, ils n’étaient pas «personne». Ils étaient des hommes, des vrais, valeureux, des hommes courageux, des hommes comme nous n’en croisons plus beaucoup de nos jours.


Lorsque Marco s’était engagé dans la Légion étrangère pour servir la France, vingt ans auparavant, il ne portait pas ce prénom. Son nom de baptême slave avait fait place à un tout nouveau nom bien français. Il avait été surpris lorsque l’adjudant de service à l’incorporation lui imposa ce patronyme venu tout droit de son imagination. Un voisin du rang lui avait soufflé qu’il s’agissait là d’une tradition. Il fallait l’accepter car aucune suggestion ne lui serait accordée. Il était venu s’enrôler pour devenir français, alors s’appeler Pierre, Paul ou Marco ne lui poserait que le souci de s’y habituer.


Marco avait dû quitter ses racines pour sauver sa peau. Il avait fui une guerre qui détruisait tout un pays où sa famille tremblait de peur et mourait de faim. Des cousins, des amis, des parents s’entretuaient pour une cause qui dépassait ces petites gens de la terre. Ces cultivateurs qui n’avaient mis qu’une fois ou deux les pieds dans la grande ville d’où provenaient les tirs sporadiques de roquettes soviétiques.


Le père avait décidé que son plus jeune fils devait partir. Qu'il vivrait une autre vie, dans un pays libre et beau. Il avait choisi de l’envoyer dans une terre d’asile, une terre de paix et d’espérance : la France. Il espérait qu’un jour il serait fier de l’entendre parler une autre langue.


Marco est mort au combat mais il n’est pas mort pour la France.

Il avait quitté la Légion cinq ans auparavant, un passeport français tout neuf dans la poche. Il en était si fier! La France en crise ne lui avait pas donné l’emploi promis à la sortie de la caserne, alors de petits boulots de vigiles en préparateurs de commandes à Super U, l’action, les voyages, les camarades de régiment lui manquaient.

Marco n’était pas retourné sur sa terre de naissance, le pays tout entier avait changé. Toutes ces années de guerre l'avait transformé. Il n’avait toujours pas retrouvé de trace de vie de sa famille disparue. Il s’était juré qu’après ce dernier contrat, il partirait là-bas, le coeur serré et la larme basse, comprendre et trouver des réponses.


Marco et Victor se connaissaient bien, ils étaient frères d’armes. Ils avaient combattu ensemble sur quasiment tous les théâtres d’opérations français de ces quinze dernières années.


Victor était un sportif accompli, débordant d’énergie, il s’entraînait tous les jours, sport de combat, musculation. Il pratiquait aussi des sports d’accompagnement comme le tennis, le golf et la natation. Il rêvait de trouver le job dont tous ses camarades avaient souvent parlé le soir dans les chambrées : garde du corps d’une haute personnalité. Ils avaient tous entendu au moins une fois que les meilleurs d’entre eux étaient recrutés par des compagnies spécialisées. D’ailleurs, Boris, n’avait-il pas fini avec un CDI en main sur un yatch en baie de Cannes?


Victor ponctuait ses recherches d’un poste permanent de garde du corps sur la Côte d’Azur entre deux missions de «contractors» à travers le monde. Il aimait l’action mais souhaitait désormais se poser pour profiter de ses deux petites filles et de sa jeune épouse. Le Mali serait sa dernière mission, il l'avait juré à ses trois moitiés.


Repris de justice dans son pays d'origine, Victor n’imaginait son avenir qu’au travers des barreaux d’une prison. Il remerciait chaque matin la France de lui avoir donné cette nouvelle chance. Son comportement exemplaire à la Légion lui avait valu de nombreuses félicitations. L’armée voulait le garder dans ses rangs mais il avait choisi, après quinze années de service qu’il aimait à qualifier de purgatoire, d’embrasser une vie normale.


 

J’ai eu Marco et Victor plusieurs fois à mes côtés lors de missions d’accompagnement de personnalités. J’avais une grande confiance en eux. Ils étaient sérieux, volontaires, efficaces et humbles. C’est donc tout naturellement que je leur ai proposé de devenir membres du groupe d’évaluation des risques et de protection des personnes que je mettais en place au Mali.



Ce jour-là nous avions pour mission de sécuriser le déplacement d’un groupe de géologues et de techniciens dépêchés par Cepsa une filiale espagnole de Total. Des investisseurs voulaient s’assurer de l’existence de certaines ressources minières. A environ trois cent kilomètres à l’ouest de Tessalit au beau milieu de l’arc sahélo-saharien, le site était enfin en vue. A notre arrivée, nous constations qu'il était déjà occupé par un groupe de djhiadistes. Probablement des combattants d’Ansar Dine repliés dans cette zone après l’intervention des troupes françaises au sud et à l’est du pays. Ayant stoppé la caravane à quelques centaines de mètres, je me suis avancé, accompagné de Marco et Victor, pour parlementer. Nous avons très vite compris qu'ils ne souhaitaient qu'en découdre. 
Sous des tirs nourris, nous avons rebroussé chemin. Nous ne savions pas s'ils étaient là pour s'emparer du site, nous dépouiller ou envoyés par des concurrents comme l'avait suggéré un des scientifiques.

Nous avons assez vite perdu le contact radio avec Marco et Victor restés en arrière pour assurer notre repli. Les deux garçons n’avaient pas pu contenir très longtemps les assaillants.


Le lendemain, après avoir sollicité l’aide d’une patrouille de militaires du 21° RIMA, je me suis rendu sur place. Marco et Victor étaient étendus sur le sol, criblés de balles et défigurés par les coups de machettes. Malgré d'âpres discussions, l’armée française refusa de rapatrier les corps.


La mission qui avait tourné court n’autorisait plus de crédit pour affréter un avion. La voie terrestre restait la seule solution pour ramener les dépouilles des garçons chez eux. Un long trajet, dangereux et piégeux. Il fallait traverser une partie du sud de la Mauritanie puis rejoindre Saint-Louis du Sénégal où trouver un bateau en partance pour Sète ou Port-Vendre.

A quelques kilomètres de la frontière mauritano-malienne, un petit groupe de militaires maliens interceptait et fouillait entièrement le véhicule. Dans ce conflit, il était naturel de craindre les troupes d’Aqmi ou autre mouvance islamique mais il était aussi conseillé d’éviter le contact de la MISMA. Ces militaires avaient la triste réputation de piller les villes et villages qu’ils libéraient, de violer femmes et enfants sur leur route. Recrutés rapidement, souvent sans formation, mal payés, souffrant d’un manque de reconnaissance et d’autorité, ils voyaient dans ces exactions une manière d’exister. De toute évidence, les rares blancs non escortés par l’armée française qui circulaient dans la région s’exposaient au minimum à être spolier. Constatant l’inutilité du butin, les militaires maliens avaient laissé repartir le chauffeur et son guide, les poches vides, après leur avoir imposé d’ensabler sur place les deux corps à mains nues.


 

Marco et Victor reposent dans le désert et je me refuse d’imaginer qu’ils pourraient finir comme ces carcasses animales blanchies, livrées aux charognards et aux vents des sables.

Je conduisais la camionnette, j’ai creusé de mes mains et je les ai ensevelis. Ces deux hommes méritaient une autre sépulture. Je songe à leurs familles. J’espère qu'un jour prochain je pourrai leur rendre leur dignité.


Frank Pietra

Morts au Mali, texte de Frank Pietra

 

Capture d’écran 2013-04-28 à 15

 

* Le 30 avril 2013 sera célébré le 150ème anniversaire de la bataille de Camerone où, en 1863, 65 légionnaires se sont battus jusqu'au dernier.

 

 

 

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Commentaires
P
Si vous monté une opé pour allé les cherché vous pouvé comter sur moi.
S
Hier à Aubagne, les anciens on les a honorés après la cérémonie.
Morts au Mali
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